L'examen longtemps reporté d'Haïti devant le Comité : réflexions sur le symbolisme, le silence et la fragilité structurelle
Published on 28 Jul 2025, 02:47 PM
Le Comité des droits de l'homme a finalement tenu son dialogue longtemps reporté avec la délégation de l'État haïtien.
Du personnel médical s'occupe de patients présentant des symptômes du choléra dans une clinique gérée par Médecins Sans Frontières à Port-au-Prince, en Haïti, le 27 octobre 2022. Auteur : AP Photo/Ramon Espinosa
Les 3 et 4 juillet 2025, le Comité des droits de l'homme (CCPR) a enfin tenu son dialogue longtemps reporté avec la délégation de l'État haïtien, examinant la mise en œuvre par le pays du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR) telle qu'elle ressort de son deuxième rapport national. Cette session marquait techniquement la quatrième tentative d'examen. Les sessions précédentes avaient été annulées à la dernière minute, souvent sans explication claire, laissant les organisations de la société civile en Haïti et à l'étranger profondément frustrées et épuisées après des cycles répétés de préparation sans résultat.
Le Centre CCPR regrette ces retards répétés. Une telle incohérence sape non seulement la crédibilité du mécanisme, mais aussi le moral et la capacité des acteurs de la société civile, qui ont mobilisé à maintes reprises des rapports parallèles, des documents d'information et des témoignages, pour finalement voir leur travail rester inutilisé. De nombreuses ONG et défenseurs des droits humains ont exprimé leur désillusion croissante à l'égard du processus, invoquant les occasions manquées en matière de plaidoyer, le désengagement des donateurs et le risque de symbolisme lorsque les reports répétés deviennent la norme.
Une délégation minimale avec une représentation symbolique
La délégation qui s'est finalement présentée à Genève les 3 et 4 juillet 2025 ne comptait que cinq membres, un nombre inhabituellement faible pour un examen de si haut niveau. Elle était dirigée par la ministre de la Condition féminine et des Affaires féminines qui, dans son discours d'ouverture, a reconnu la taille réduite de la délégation et expliqué que de nombreux fonctionnaires ne disposaient pas de documents de voyage valides, ce qui les avait empêchés de participer. Cet aveu a mis en évidence le dysfonctionnement administratif général qui touche actuellement l'État haïtien, où même les procédures gouvernementales courantes, telles que la délivrance de passeports diplomatiques, semblent être bloquées par la crise nationale.
La composition de la délégation en termes de genre – quatre femmes et un homme – était visiblement symbolique. Si cette représentation a été saluée par de nombreux membres du Comité et observateurs, elle contraste fortement avec la réalité politique actuelle en Haïti, où seulement 2,5 % environ des sièges parlementaires sont occupés par des femmes, aucune femme ne siège actuellement au Sénat et moins de 5 % des partis politiques sont dirigés par des femmes. Ainsi, si la délégation de Genève a donné une image d'inclusivité en matière de genre, elle ne reflétait pas les inégalités profondément enracinées dans la vie politique haïtienne.
Au cours du dialogue, les membres du Comité ont exprimé de graves préoccupations quant à la capacité d'Haïti à garantir les droits fondamentaux face à l'effondrement systémique, en mettant particulièrement l'accent sur l'état de droit, l'impunité généralisée et la violence sexiste.
Impunité endémique et faiblesse du système judiciaire
Le Comité a souligné avec force que l'impunité reste l'un des plus grands obstacles à la protection des droits civils et politiques en Haïti. Il a demandé à l'État de préciser les progrès réalisés dans des affaires emblématiques, notamment le massacre de La Saline et d'autres massacres, ainsi que l'affaire en suspens depuis longtemps concernant les violations des droits de l'homme commises sous le régime de Duvalier. Les experts du Comité ont déploré l'absence de résultats judiciaires concrets, notant que de nombreux cas impliquant de graves abus restent impunis, souvent en raison de l'insécurité et de la paralysie du système judiciaire.
La délégation a cité des réformes récentes, notamment la création de deux unités judiciaires spécialisées dans les crimes de masse et la corruption financière, comme signes d'un engagement renouvelé en faveur de la justice. Toutefois, le Comité a émis des doutes quant à l'indépendance et à la capacité opérationnelle de ces institutions, compte tenu des interférences de longue date et du manque de ressources. Les juges et les procureurs feraient l'objet d'intimidations, en particulier dans les affaires de criminalité financière, et l'impunité est aggravée par la destruction de l'infrastructure judiciaire dans les zones contrôlées par les gangs.
Violence sexiste et déplacements de population
Les membres du Comité ont exprimé leur profonde inquiétude face à la violence systématique et généralisée contre les femmes et les filles, en particulier dans les zones contrôlées par les gangs. Les rapports faisant état de viols massifs, de prostitution de survie et d'abus sur des mineurs - y compris des enfants de cinq ans - illustrent l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de contrôle et de terreur. Malgré certaines initiatives, notamment le Plan national 2017-2024 de lutte contre les violences basées sur le genre, le Comité a critiqué la réponse du gouvernement comme étant insuffisante et faiblement mise en œuvre.
La délégation a souligné les efforts récents tels que la création de centres de services à guichet unique fournissant une assistance juridique, médicale et psychosociale, ainsi que les projets d'un plan d'action national sur les femmes, la paix et la sécurité. Toutefois, des questions subsistent quant à la portée géographique, à l'efficacité et aux ressources de ces services, en particulier pour les femmes déplacées à l'intérieur du pays. Le Comité a également demandé pourquoi des réformes législatives essentielles, notamment la criminalisation du viol conjugal et du fémicide, restaient bloquées en raison de l'absence d'un parlement opérationnel.
Crise de la sécurité et de la justice populaire
Avec plus d'un million de personnes déplacées et des gangs armés qui contrôleraient de larges portions de Port-au-Prince et des infrastructures stratégiques, le Comité a noté l'érosion catastrophique de l'ordre public. De nombreux membres du Comité ont souligné l'augmentation des exécutions extrajudiciaires et des actes dits de « justice populaire », tels que les lynchages, les lapidations et les immolations. Ils ont demandé à l'État quels efforts étaient déployés pour enquêter sur ces incidents, en particulier lorsque des membres de la police sont soupçonnés d'encourager ou de tolérer de tels actes.
La délégation haïtienne a réaffirmé que les lynchages ne font pas partie de la culture nationale et a condamné sans équivoque de tels actes. Elle a décrit les efforts en cours pour rétablir la confiance entre les citoyens et la police, y compris les opérations conjointes avec des partenaires internationaux tels que le Kenya et la Colombie. Toutefois, le Comité a averti que si l'on ne s'attaque pas à la corruption systémique et à la circulation des armes, il ne sera pas possible de rétablir une véritable sécurité et la confiance institutionnelle.
Regarder vers l'avenir
En réponse aux questions du Comité sur le référendum constitutionnel annoncé et les futures élections, la délégation a expliqué qu'Haïti avait été divisé en zones « vertes » et « rouges », en fonction des niveaux de contrôle des gangs. Les membres du Comité ont exprimé de sérieuses inquiétudes quant à la faisabilité d'un référendum ou d'élections inclusives et conformes aux droits dans de telles conditions, en particulier si des régions entières restent exclues de la participation politique.
Malgré les immenses défis, le Comité a encouragé Haïti à respecter ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à prendre des mesures concrètes pour restaurer l'État de droit, protéger ses populations les plus vulnérables et garantir des droits civils et politiques significatifs pour tous.
Regardez à nouveau la session d'examen ici (jour 1) et ici (jour 2).
Clause de non-responsabilité : Les transcriptions du dialogue disponibles ici grâce au système Speech-to-Text de l'OMPI ont servi de source principale pour l'article présenté. Bien que toutes les informations aient été soigneusement vérifiées, veuillez vous référer à l'audio ou à la WebTV de l'ONU pour une version officielle du dialogue.
Recommandations du Comité des droits de l'homme
Les Observations finales sur le deuxième rapport périodique d'Haïti ont été publiées le 18 juillet 2025. L'État partie est prié de fournir, avant le 18 juillet 2028, des informations sur les recommandations suivantes :
Violence contre les femmes
L'État partie devrait renforcer ses efforts pour éliminer la violence à l'égard des femmes, en particulier la violence sexuelle liée aux gangs, en luttant contre l'impunité et en protégeant les victimes. En particulier, il devrait
- (a) S'assurer que les lois nationales criminalisent toutes les formes de violence contre les femmes, y compris l'inceste ;
- (b) Enquêter sur toutes les allégations, poursuivre les auteurs et offrir aux survivants des voies de recours et des réparations ;
- (c) Créer des mécanismes pour soutenir et encourager les victimes à signaler les abus et sensibiliser le public ;
- (d) allouer des ressources pour les refuges et les services de soutien, assurer leur accessibilité - en particulier dans les zones affectées par les gangs - et former les fonctionnaires pour qu'ils traitent ces cas de manière efficace.
Le droit à la vie
Conformément à l'Observation générale n° 36, l'État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires - éventuellement avec la coopération internationale - pour protéger le droit à la vie dans un contexte de violence généralisée des gangs. En particulier, il devrait
- (a) Développer et mettre en œuvre des politiques visant à démanteler les gangs et les groupes d'autodéfense en s'attaquant aux causes structurelles, y compris le trafic d'armes ;
- (b) Enquêter sur les homicides, les exécutions extrajudiciaires et l'usage excessif de la force, veiller à ce que les responsables rendent compte de leurs actes et accorder des réparations complètes aux victimes et à leurs familles ;
- (c) Aligner les lois et les pratiques relatives à l'utilisation de la force sur les normes internationales, limiter la force létale aux situations où la vie est menacée, et fournir une formation appropriée ;
- (d) Augmenter les ressources de la police nationale et de son inspection afin de renforcer leur efficacité et leur capacité de contrôle indépendant.
Elimination de l'esclavage, de la servitude et de la traite des êtres humains
L'Etat partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la traite des personnes, y compris le recrutement, l'exploitation et le travail forcé des enfants. En particulier, il devrait
- (a) Enquêter et poursuivre les cas de traite, de service domestique et de travail des enfants, en prévoyant des sanctions appropriées ;
- (b) Améliorer l'identification des victimes de la traite et leur fournir des services de protection, de soutien et de réinsertion ;
- (c) De mettre en œuvre des stratégies de prévention pour protéger les enfants contre le recrutement par les gangs, de s'attaquer aux causes profondes et d'élaborer des programmes communautaires et de réinsertion ;
- (d) D'améliorer la formation et la coordination entre les autorités judiciaires, les forces de l'ordre et les organisations de la société civile.
Vous trouverez ici toutes les recommandations formulées par le Comité dans ses observations finales.
Le rapport de suivi d'Haïti sur la mise en œuvre des recommandations est attendu en 2028. La prochaine liste de points à traiter sera adoptée en 2031, et le prochain rapport périodique est attendu en 2032.