Guinée Bissau: Réformes promises, violations persistantes : que reste-t-il des engagements de l'Etat?

Published on 17 Jul 2025, 11:20 AM

Entre discours institutionnels et constats alarmants, la Guinée-Bissau fait face à des critiques sévères du Comité des droits de l’Homme, qui dénonce l’impunité, les atteintes aux libertés et l’ineffectivité des réformes annoncées.

Des policiers lors d'un festival à Bissau, en Guinée-Bissau, le 11 février 2018. Auteur : Xaume Olleros/AFP via Getty Images

Les 26 et 27 juin 2025, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a examiné le tout premier rapport périodique de la Guinée-Bissau relatif à la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), à Genève. La délégation bissau-guinéenne, conduite par M. Francisco José Fadul, ministre de la Justice, a présenté en détail les réformes législatives et les engagements institutionnels entrepris par l’État depuis la transition démocratique amorcée en 1991. Cependant, derrière ce cadre juridique, les membres du Comité ont déploré un manque de réponses précises sur la réalité concrète des droits humains dans le pays, en particulier en matière de torture, de justice, et de protection des personnes vulnérables.

Avant même l'ouverture du dialogue, des inquiétudes avaient été exprimées concernant la sécurité des défenseurs des droits humains ayant collaboré avec les mécanismes onusiens. Bien que la société civile locale ait fait preuve de prudence dans sa participation, la crainte de représailles était bien réelle. Cette préoccupation a d’ailleurs été explicitement évoquée par le Président du Comité en début de session, appelant l’État partie à garantir la liberté d’action et la sécurité de toutes les personnes coopérant avec le Comité.

Dès les premières interventions, la question de la torture et des traitements inhumains a occupé une place centrale dans les préoccupations du Comité. Malgré les affirmations de la délégation quant à l’interdiction légale de la torture, les experts ont rappelé que des cas documentés de violences perpétrées par les forces de sécurité continuaient d’être signalés, dans un climat marqué par l’impunité. Le Comité a ainsi insisté sur la nécessité de mécanismes de prévention, de sanctions effectives et de données statistiques fiables pour mesurer l’ampleur réelle du phénomène sur le terrain.

La torture, les mauvais traitements et l’impunité, un enjeu central.

Le Comité a exprimé une vive inquiétude quant aux allégations persistantes de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de sécurité, y compris dans des lieux sensibles comme le Palais présidentiel. Ces pratiques visent souvent des opposants politiques, des manifestants pacifiques ou des défenseur·e·s des droits humains. 

La délégation a reconnu que de graves abus avaient eu lieu par le passé, citant notamment un cas de viol en détention en 2013, pour lequel des sanctions disciplinaires ont été prises contre les responsables. Elle a également affirmé que la torture était prohibée par le droit national et que toute allégation faisait l’objet d’enquêtes et de poursuites, bien que peu de données aient été fournies sur les cas récents.

La liberté d’expression et de réunion pacifique fragilisée

Interpellée sur les entraves croissantes à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, la délégation a rappelé que la Constitution garantissait ces droits, tout en précisant que les propos considérés comme insultants ou diffamatoires pouvaient donner lieu à des poursuites judiciaires. Le Comité a jugé cette position préoccupante, craignant qu’elle ne serve à justifier une répression des voix dissidentes. Des explications ont été données par l'Etat qui a justifié certaines des mesures par le souci de préserver la paix sociale.

La lutte contre la corruption, la necessité de mesures concrètes

Bien que présentée comme une priorité par la délégation, la lutte contre la corruption continue de souffrir d’un manque d’efficacité. Le Comité a demandé des clarifications sur le nombre de poursuites engagées, les résultats concrets des stratégies nationales adoptées, et les garanties d’indépendance des organes chargés de leur mise en œuvre. L’absence d’un accès effectif à l’information publique et les risques d’interférence politique dans les enquêtes fragilisent la crédibilité de l’action étatique dans ce domaine. 

La délégation a mis en avant plusieurs instruments adoptés, dont la Stratégie nationale contre la corruption, un bureau de recouvrement des avoirs, ainsi que des projets de lois sur la transparence et la confiscation des biens mal acquis. Toutefois, aucune statistique n'a été fournie sur les enquêtes ou poursuites engagées, et les risques d'interférence politioque dans les procédures n'ont pas été éludés. 

Une justice indépendance, gage de préservation des droits

Le Comité a questionné l'indépendance de la justice dans un contexte marqué par une ingérence politique persistante. La suspension du président de la Cour suprême, le manque d’autonomie budgétaire des juridictions et l’absence de garanties de nomination sur des critères de mérite ont été pointés comme symptômes d’une justice fragilisée. Le Comité a recommandé des réformes structurelles ambitieuses pour restaurer l’indépendance judiciaire, conformément à l’article 14 du PIDCP.

La délégation a indiqué que des élections avaient récemment été organisées pour désigner la présidence de la Cour, et que des efforts étaient en cours pour renforcer les capacités des magistrats et améliorer les infrastructures. Néanmoins, les garanties de nomination sur la base du mérite ou l’instauration d’un système de financement stable pour la justice restent à concrétiser.

 

Regardez à nouveau la session d'examen ici ( jour 1) et ici ( jour 2).

Clause de non-responsabilité : Les transcriptions du dialogue disponibles ici grâce au système Speech-to-Text de l'OMPI ont servi de source principale pour l'article présenté. Bien que toutes les informations aient été soigneusement vérifiées, veuillez vous référer à l'audio ou à la WebTV de l'ONU pour une version officielle du dialogue.

Une société civile présente à Genève pour faire entendre les réalités du terrain

Il faut rappeler que grâce à l’appui logistique et technique du CCPR Centre, cinq défenseur·e·s des droits humains issus de la société civile bissau-guinéenne ont pu participer à la session du Comité des droits de l’Homme à Genève en juin 2025 : Edmar Paulo Babilé Nhaga, Silvina da Silva Tavares, Biro Embalo, Gueri Gomis et Cabi Sanha. Leur présence a permis de renforcer la voix des acteurs non étatiques dans le dialogue avec les experts du Comité, notamment à travers des échanges bilatéraux, des réunions préparatoires et des prises de parole informelles.

Pour Silvina da Silva Tavares, cette opportunité a été bien plus qu’un moment symbolique :
« À Genève, nous avons pu exprimer les préoccupations de nos communautés, sans filtre, devant un Comité à l’écoute. Ce n’était pas seulement une tribune, mais un espace de responsabilisation. Grâce au soutien du CCPR Centre, nous avons démontré que la société civile bissau-guinéenne peut parler d’une voix claire et structurée sur les enjeux de justice, d’impunité et de libertés. »

Cette participation directe a contribué à crédibiliser les rapports alternatifs soumis au Comité et à illustrer, par des témoignages concrets, l’écart entre les normes juridiques affichées par l’État et les réalités vécues par les populations. Le retour des défenseur·e·s au pays ouvrira également la voie à une restitution publique des observations finales et à la mobilisation nationale pour leur suivi effectif.

Recommandations du Comité des droits de l'homme

Les observations finales sur le premier rapport de la Guinée Bissau ont été publiées le 18 juillet 2025. L'État partie est prié de fournir, d'ici au 18 juillet 2028, des renseignements sur les recommandations ci-après (résumées) :

Institution nationale des droits de l'homme

Compte tenu de son engagement dans l’initiative Human Rights 75, l’État partie devrait garantir la pleine conformité de la Commission nationale des droits de l’homme aux Principes de Paris, assurer son indépendance dans l’exercice de son mandat, et lui fournir les ressources financières et humaines nécessaires pour remplir efficacement ses fonctions.

Traite des êtres humains, élimination de l'esclavage et de la servitude, et violence domestique

L’État partie devrait renforcer ses efforts pour prévenir, combattre et punir la traite des personnes, en particulier des enfants exploités pour la mendicité forcée, la servitude domestique ou l’exploitation sexuelle. À cette fin, il devrait :

  • a) Renforcer le cadre juridique et institutionnel en appliquant pleinement la loi contre la traite, en assurant sa conformité avec le Pacte et les normes internationales, et en adoptant un plan d’action national actualisé et coordonné ;
  • b) Garantir des enquêtes rapides et approfondies sur tous les cas de traite, poursuivre les auteurs, et leur imposer des peines proportionnées;
  • c) Assurer aux victimes, en particulier les enfants, un accès effectif à la protection, à l’assistance (refuges, soins, aide juridique, réadaptation) et à une réparation intégrale, y compris l’indemnisation.

Liberté de réunion et d'association, et protection des défenseurs des droits de l'homme

L’État partie devrait garantir un environnement favorable à la réunion pacifique et à la liberté d’association, en assurant que toute restriction soit légale, nécessaire et proportionnée. Il doit protéger l’espace civique, permettre aux défenseurs des droits, journalistes, syndicalistes et militants d’agir sans crainte, et éviter toute ingérence, stigmatisation ou harcèlement des organisations de la société civile.

Vous trouverez ici toutes les recommandations formulées par le Comité dans ses observations finales.

Le rapport de suivi de la Guinée Bissau sur la mise en œuvre des recommandations est attendu en 2028. La prochaine liste de points à traiter sera adoptée en 2031 et le prochain rapport périodique est attendu en 2032.

Rules of Procedure of the Human Rights Committee

Rules of Procedure of the Human Rights Committee CCPR/C/3/Rev.10

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CCPR NGO Participation

Documents adopted by the Human Rights Committee (March 2012)

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CCPR NHRI Participation

Documents adopted by the Human Rights Committee (November 2012)

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