Burkina Faso : les entraves aux droits de l’homme au nom de la lutte contre le terrorisme ne convainquent pas le Comité des droits de l’homme
Published on 11 Mar 2025, 05:21 PM
Le Burkina Faso a été examiné par le Comité des droits de l'homme des Nations unies pour la deuxième fois en mars 2025.
Manifestants à Ouagadougou, Burkina Faso, le 2 octobre 2022. Auteur : AFP
Les 5 et 6 mars 2025, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a examiné le deuxième rapport du Burkina Faso sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Face aux nombreuses questions soulevées, la délégation burkinabè, menée par le ministre de la Justice Edasso Rodrigue Bayala, a souvent rejeté certaines allégations du Comité, notamment sur les disparitions forcées.
Si le Burkina Faso a mis en avant ses efforts législatifs et sécuritaires, de nombreuses préoccupations du Comité sont restées sans réponse. La délégation a fréquemment invoqué la lutte contre le terrorisme pour justifier certaines restrictions, sans détailler les mécanismes de supervision ni les garanties pour les citoyens. Ce dialogue a ainsi mis en évidence un décalage entre les attentes du Comité et les justifications apportées par l’État burkinabè, laissant en suspens des questions fondamentales.
Une réforme judiciaire qui fragilise l’indépendance du pouvoir
La réforme judiciaire entreprise par l’État burkinabè a suscité de vives inquiétudes. En plaçant le parquet sous l’autorité du ministre de la Justice, elle brouille la séparation entre l’exécutif et le judiciaire. Si le Comité ne conteste pas le principe même de la réforme, il souligne un problème structurel majeur : une justice qui, même sans ingérence directe, risque d’être perçue comme soumise au pouvoir politique. L’État affirme que des garanties institutionnelles existent, mais aucune réponse claire n’a été apportée sur la manière dont la justice peut continuer à être vue comme indépendante dans ce nouveau cadre.
Dans un contexte sécuritaire déjà fragile, affaiblir la confiance dans l’institution judiciaire pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la stabilité du pays et le respect des droits fondamentaux. Pour garantir une justice réellement efficace, cette réforme devrait avant tout assurer que les magistrats exercent leurs fonctions à l’abri de toute pression politique et que les citoyens puissent croire en leur impartialité. À défaut, elle risque d’être perçue comme un moyen pour l’exécutif de renforcer son influence sur les décisions judiciaires, au détriment de l’État de droit.
Liberté d’expression et défense des droits menacées sous couvert de lutte antiterroriste
Jeunes manifestants burkinabés. Auteur : Sophie Garcia/AP/picture alliance
Le contrôle accru de l’espace public et de la liberté d’expression est une autre source de préoccupation pour le Comité. Ses membres se sont inquiétés de l’utilisation répétée de l’argument sécuritaire pour restreindre les manifestations et limiter le travail des journalistes et des défenseurs des droits humains.
Ces derniers sont particulièrement vulnérables. Le Comité a relevé l’absence de mesures concrètes pour garantir leur sécurité lors de la couverture d’événements sensibles et s’est interrogé sur les restrictions arbitraires qui entravent leur travail. Aucune réponse n’a été apportée sur la prévention de leur criminalisation, ni sur les garanties permettant d’éviter que la lutte contre le terrorisme ne serve de prétexte à une répression de la société civile.
La CNDH, une institution clé fragilisée par des lacunes structurelles
Présentée comme un pilier de la protection des droits humains, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) du Burkina Faso traverse pourtant une crise de légitimité. En 2023, elle s’est vu retirer son accréditation par l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) en raison du manque de conformité avec les Principes de Paris. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU partage ces préoccupations, pointant des lacunes dans son indépendance et son efficacité.
Depuis 2021, la CNDH a vu ses compétences élargies avec l’intégration du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP), chargé de mener des visites inopinées dans les lieux de détention. Si cette mission est essentielle, elle est fortement limitée par un manque de moyens financiers et logistiques. Aucune information détaillée n’a été fournie sur l’impact de ses recommandations ni sur leur suivi par les autorités.
Par ailleurs, bien que l’État ait affirmé que 261 plaintes ont été enregistrées entre 2021 et 2024, aucune donnée n’a été fournie sur les enquêtes menées ou les sanctions appliquées aux auteurs de violations. Ce manque de transparence nuit à la crédibilité de la CNDH et entrave son rôle de contrôle.
Peine de mort : un possible retour en arrière inquiétant
Alors que le Burkina Faso avait supprimé la peine de mort de son Code pénal en 2018, la délégation burkinabè a surpris le Comité des droits de l’homme en annonçant qu’elle envisageait de la rétablir. Cette déclaration marque un revirement préoccupant, alors que la tendance mondiale va vers son abolition définitive.
Le Comité a rappelé que le Burkina Faso, bien que n’appliquant plus la peine capitale, n’a toujours pas ratifié le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit son rétablissement. La délégation a justifié cette position en invoquant le contexte sécuritaire et la nécessité de sanctions plus dissuasives face aux actes de terrorisme. Cette justification a soulevé de vives inquiétudes parmi les experts, qui ont rappelé que le respect des droits fondamentaux ne devait pas être conditionné par des impératifs sécuritaires.
Le Comité a averti que rétablir la peine de mort serait un grave recul pour les droits humains et a exprimé ses craintes quant au respect des engagements internationaux du Burkina Faso. La délégation burkinabè a indiqué que cette mesure viserait les crimes liés au terrorisme et certaines infractions graves, sans préciser les garanties judiciaires prévues. Les experts ont mis en garde contre le risque de condamnations arbitraires, dans un contexte marqué par des pressions politiques et un accès limité à une défense effective. Ils ont également rappelé que l’efficacité dissuasive de la peine capitale n’a jamais été prouvée et ont recommandé des alternatives respectueuses des droits fondamentaux. Aucune précision n’a été apportée sur les modalités de ce rétablissement, entretenant une inquiétude croissante.
Déplacés internes : entre précarité et absence de réparation
Des personnes déplacées au Burkina Faso dans un camp de la ville de Pissila. Author : PAM/Marwa Awad
Avec plus de 2 millions de déplacés internes, le Burkina Faso est confronté à une crise humanitaire majeure, exacerbée par l’insécurité et les attaques terroristes. Si le gouvernement met en avant des efforts d’urgence — ouverture de sites d’accueil, distribution d’aide humanitaire, assistance sanitaire —, ces mesures restent insuffisantes et temporaires.
Le Comité pointe le manque d’un cadre global assurant non seulement la sécurité des déplacés, mais aussi leur accès à des moyens de subsistance et à des compensations pour les pertes subies. Aucune information n’a été fournie sur d’éventuels mécanismes de réparation pour ceux ayant perdu leurs terres, leurs biens ou leurs revenus.
La question de la réintégration des déplacés dans leurs communautés d’origine reste également floue. Le gouvernement assure vouloir créer des « couloirs sécurisés » pour faciliter leur retour, mais sans garanties suffisantes sur la protection de leurs droits. Le Comité souligne aussi l’absence de mesures spécifiques pour les femmes et les enfants déplacés, particulièrement vulnérables aux violences et à l’exploitation.
Sans politique claire de réparation et de réinsertion durable, la situation des déplacés internes risque de s’enliser, laissant des millions de personnes dans une précarité chronique. Pour le Comité, le Burkina Faso doit impérativement adopter une approche plus ambitieuse, incluant des compensations pour les victimes et des solutions à long terme pour reconstruire leurs vies.
Regardez à nouveau la session d'examen ici ( jour 1) et ici ( jour 2).
Recommandations du Comité des droits de l'homme
Les observations finales sur le deuxième rapport du Burkina Faso sont disponibles en français. L'État partie est prié de fournir, d'ici au mars 2028, des renseignements sur les recommandations urgentes aux paragraphes 7 (Institution nationale des droits de l’homme), 23 (Violence à l’égard des femmes) et 29 (Peine de mort).
Institution nationale des droits de l’homme (para. 7)
L’État partie devrait prendre les dispositions nécessaires pour l’adoption du décret portant organisation et fonctionnement de la Commission nationale des Droits humains. Il devrait aussi :
(a) Veiller à l’accélération des démarches entreprises par la Commission nationale des Droits humains en vue de recouvrir son accréditation auprès du Sous-Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme ;
(b) Veiller à ce que cette commission soit pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et puisse s'acquitter efficacement et en toute indépendance de son mandat sur l’ensemble du territoire, en pleine conformité avec ces Principes ;
(c) Poursuivre les efforts afin d’augmenter les ressources budgétaires et humaines de la Commission nationale des Droits humains ; et du Mécanisme national de prévention de la torture; assurer leur autonomie organisationnelle
(d) Veiller à ce que le Mécanisme national de protection des défenseurs de droits humains soit pleinement opérationnel et mettre à sa disposition les ressources financières, techniques et humaines nécessaires pour qu’il puisse s'acquitter efficacement et en toute indépendance de son mandat.
Violence à l’égard des femmes (para. 23)
L’État partie devrait poursuivre ses efforts visant à prévenir, combattre et éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, y compris les cas de violence intrafamiliale. Il devrait en particulier :
(a) Veiller à ce que tous les cas de violence à l’égard des femmes, y compris à l’égard des déplacées internes, fassent l’objet d’une enquête approfondie, à ce que les auteurs soient poursuivis et, s’ils sont déclarés coupables, qu’ils soient condamnés à une peine proportionnée à la gravité de leurs actes, et à ce que les victimes aient accès à des voies de recours et reçoivent une réparation intégrale ;
(b) Harmoniser la sanction prévue pour le viol conjugal avec celle prévue pour le viol en général et garantir sa mise en œuvre effective ;
(c) Renforcer les mécanismes existants afin d’encourager les femmes victimes de violence à porter plainte ;
(d) Accroître les ressources financières et humaines pour donner davantage les moyens de prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes, ainsi que pour offrir une protection et une assistance adéquates, notamment grâce à l’élargissement du réseau de centres de prise en charge intégrés, y compris dans les régions rurales et reculées ;
(d) Veiller à ce que les agents publics, y compris les juges, les avocats, les procureurs, les membres des forces de l’ordre et les prestataires de soins de santé et d’aide sociale, soient effectivement formés au traitement des cas de violence à l’égard des femmes ;
(e) Intensifier les campagnes de sensibilisation à l’intention de toutes les composantes de la société, dans le but de combattre les schémas et stéréotypes socio-culturels qui contribuent à l’acceptation de la violence fondée sur le genre, et faire prendre conscience à la population que ces violences constituent des infractions.
Peine de mort (para. 29)
L’État partie devrait renoncer à son projet de rétablissement de la peine de mort. Par ailleurs, dans la continuité des précédentes observations finales du Comité, l’État partie devrait envisager d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.
Le prochain dialogue constructif avec l’État partie aura lieu en 2033 à Genève.
Clause de non-responsabilité : Les transcriptions du dialogue disponibles ici grâce au système Speech-to-Text de l'OMPI ont servi de source principale pour l'article présenté. Bien que toutes les informations aient été soigneusement vérifiées, veuillez vous référer à l'audio ou à la WebTV de l'ONU pour une version officielle du dialogue.