Deux ateliers majeurs au Tchad pour renforcer le dialogue avec le Comité des droits de l’homme et la participation des acteurs nationaux
Published on 30 Oct 2025, 11:55 AM
Projet de collaboration entre la FIACAT, le HCDH et le CCPR Centre
Les participant*es dans la salle de conférence à N`Djamena, Tchad
Dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), deux ateliers essentiels ont été organisés à N’Djamena en octobre 2025, marquant une avancée significative pour la préparation du dialogue du Tchad avec le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le Comité), prévu à Genève en mars 2026. Ces ateliers ont été conjointement organisés par le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) au Tchad et le Centre pour les droits civils et politiques (CCPR Centre). Le deuxième atelier a également associé la Fédération internationale des ACAT (FIACAT). Ces deux ateliers complémentaires – l’un destiné aux autorités publiques, l’autre à la société civile – s’inscrivent dans une dynamique nationale de renforcement du dialogue inclusif autour des droits civils et politiques au Tchad. En outillant à la fois les institutions étatiques et les acteurs non gouvernementaux, cette approche permet une identification plus ciblée des préoccupations principales au Tchad concernant la situation des droits humains, notamment celles relevant directement des articles du PIDCP, favorise un suivi plus cohérent des recommandations internationales et consolide l'engagement du Tchad vis-à-vis du Comité .
Contexte – CCPR et Tchad
Le Tchad a été examiné pour la dernière fois par le Comité en 2014, à l’issue duquel il a reçu une série de recommandations importantes visant à renforcer la mise en œuvre du PIDCP (voir les observations finales ici : CCPR/C/TCD/CO/2). Ces recommandations portaient notamment sur la lutte contre l’impunité, la protection des droits des femmes, la prévention de la torture et la garantie d’un accès équitable à la justice. Entre 2015 et 2017, le Comité a adressé trois lettres de suivi au Tchad (en 2015 : INT/CCPR/FUL/TCD/22332 ; en 2016 : INT/CCPR/FUL/TCD/25257 ; et en 2017 : INT/CCPR/FUL/TCD/27204), soulignant la nécessité d’assurer un suivi concret sur certaines recommandations prioritaires. Cependant, aucune réponse n’a été transmise par l’État partie à ces correspondances, ce qui a entraîné l’absence d’un rapport de suivi permettant d’évaluer la mise en œuvre des recommandations formulées. Conformément aux procédures du Comité, le Tchad aurait dû soumettre en 2018 son troisième rapport périodique, permettant ainsi la poursuite du dialogue régulier entre l’État partie et le Comité. Malgré l’envoi d’une liste de points à traiter (List of Issues Prior to Reporting), l’État n’a transmis son rapport qu’en date du 1er septembre 2023, soit avec un retard de plus de cinq ans. Ce rapport, bien que salué pour sa soumission tardive, demeure incomplet : il ne répond pas à plusieurs des questions essentielles posées par le Comité et laisse certains domaines — tels que la liberté d’expression, la situation des défenseurs des droits humains, la justice militaire ou les conditions de détention — encore non clarifiés. Face à ces lacunes, le Comité a décidé, en avril 2025, d’adresser au Tchad une nouvelle liste de points contenant des questions complémentaires de suivi, afin de préciser et d’actualiser les informations avant le dialogue constructif prévu pour mars 2026. Ce dialogue aura lieu près de douze ans après la dernière analyse du Tchad en 2014 — un écart temporel considérable qui rompt la dynamique normale du suivi du Pacte. En principe, le Comité opère selon un cycle d’environ sept ans, permettant d’assurer un examen régulier et de mesurer les progrès réalisés dans la mise en œuvre des obligations internationales. Le respect de ce cycle est d’une importance capitale. Il garantit que les recommandations du Comité ne demeurent pas théoriques, mais se traduisent par des réformes institutionnelles, législatives et politiques concrètes. Un dialogue périodique régulier permet d’identifier rapidement les obstacles rencontrés, de soutenir les efforts nationaux et d’encourager une meilleure coordination entre les différents acteurs — notamment les institutions nationales des droits de l’homme, la société civile, et les organes gouvernementaux. À l’inverse, un retard prolongé, comme celui observé dans le cas du Tchad, a des conséquences directes sur la situation des droits humains : il empêche de suivre l’évolution des recommandations, de détecter les violations émergentes, et de proposer en temps utile des mesures correctives adaptées. De plus, ce retard fragilise la crédibilité du mécanisme de suivi et le rôle du Comité comme instance de contrôle, tout en privant le pays d’un accompagnement technique et politique précieux pour la mise en œuvre effective de ses engagements internationaux. Le respect d’un calendrier prévisible, avec des rapports soumis et examinés dans des délais raisonnables, est donc indispensable pour renforcer la continuité du dialogue, la transparence de l’action publique et, in fine, la protection effective des droits civils et politiques au Tchad.
1. Atelier avec le MNMRS tchadien : Préparer la contribution de l’État tchadien au dialogue avec le Comité des droits de l’homme
Le 6 octobre 2025, un atelier préparatoire a été organisé à l’attention des membres du Comité interministériel de suivi des engagements internationaux du Tchad en matière de droits de l’homme (MNMRS = mécanisme national de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi). L’objectif principal de cet atelier était de permettre aux membres du Comité interministériel de mieux comprendre et de mieux répondre à la liste des questions de suivi soumises par le Comité des droits de l’homme à la suite du rapport national du Tchad présenté en 2023. Ces questions – dites « liste de points » – visent à obtenir des précisions sur la mise en œuvre concrète du PIDCP au niveau national et à préparer le dialogue interactif prévu à Genève en mars 2026, voir informations sur la session du Comité ici: https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/SessionsList.aspx?Treaty=CCPR Pour cet atelier, près d’une vingtaine de participants, dont trois femmes, issus de la Présidence de la République, du Ministère de la Justice et des Droits humains, du Ministère des Affaires étrangères, de la Santé publique, de la Fonction publique, de la Sécurité, de l’Administration du territoire, des Finances, ainsi que de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et d’organisations de la société civile, ont pris part aux échanges. Il est hautement louable de souligner que le Tchad est actuellement le seul pays de la sous-région d’Afrique centrale à disposer d’un Secrétariat permanent du Mécanisme national de rapport et de suivi (NMIRF) clairement nommé et pleinement fonctionnel — une avancée institutionnelle majeure et un modèle à saluer. De plus, plusieurs ONG et membres de la CNDH disposent d’un statut d’observateur au sein du mécanisme, ce qui renforce la transparence et l’inclusivité du processus. Cependant, il a été recommandé de renforcer la collaboration avec l’Institut national de la statistique, qui ne dispose pour l’instant d’aucun représentant permanent au sein du NMIRF. Cette absence se traduit par un déficit persistant en matière de données fiables et validées par le gouvernement. Certes, certaines données sont accessibles via des acteurs tiers, notamment des agences des Nations Unies ou des partenaires techniques, mais ces chiffres ne sont pas toujours officiellement validés par les autorités nationales. Les facilitateurs du CCPR Centre ont ainsi souligné l’importance de formaliser un partenariat durable entre le NMIRF et l’Institut national de la statistique, afin de déterminer conjointement les types de données nécessaires à la rédaction des rapports et au suivi des recommandations internationales.
2. Atelier de la société civile et de la CNDH : Comprendre et maîtriser la rédaction des rapports parallèles
Travaux de groupe
Du 7 au 9 octobre 2025, un second atelier a réuni à N’Djamena 28 participants, dont 12 femmes, issus de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et d’organisations de la société civile. Cet atelier, mené en collaboration tripartite entre le HCDH, la FIACAT et le CCPR Centre, visait à renforcer la participation des acteurs non étatiques aux mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme. Le représentant du HCDH a rappelé que la CNDH et les OSC sont des partenaires incontournables de l’État dans la mise en œuvre des droits humains au niveau national. L’un des constats de départ était que très peu d’ONG tchadiennes avaient, jusqu’à présent, pris part à ces procédures internationales des différents mécanismes des droits humains des Nations Unies. La CNDH n’y a jamais pris part. Plusieurs participants ont expliqué qu’ils avaient déjà assisté à de courts briefings en ligne, mais souvent dans des conditions précaires — connexions instables, temps limité — ce qui ne leur avait pas permis de comprendre pleinement la portée et le fonctionnement des mécanismes onusiens. Cette méconnaissance s’est notamment manifestée par l’absence quasi totale de rapports alternatifs lors de l’examen du Tchad par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes au début de l’année 2025, ainsi que lors de la préparation de la liste de questions du Comité contre la torture, qui sert de base à l’examen, alors même que ces contributions constituent un outil clé de plaidoyer et de suivi des recommandations internationales. Une partie essentielle de l’atelier consistait à démontrer à la société civile l’importance majeure de son engagement auprès du Comité des organes de traités, particulièrement le Comité des droits de l’homme. Cela inclut notamment la soumission d’informations permettant au Comité d’analyser dans quelle mesure les obligations de respect, de protection et de mise en œuvre des droits civils et politiques sont effectivement remplies. En complément du rapport officiel soumis par l’État, ces contributions offrent au Comité une perspective supplémentaire sur le respect des engagements en matière de droits humains et lui permettent, le cas échéant, de formuler des recommandations pertinentes. C`est pour cela que durant trois jours, les participants ont bénéficié d’un renforcement intensif et méthodologique, axé sur des exercices pratiques et des exemples concrets. Les facilitateurs ont présenté en détail la structure d’un rapport parallèle, les principes de sélection des thématiques prioritaires et la manière de formuler des recommandations. L’atelier s’est concentré sur la méthodologie de rédaction et la formulation de recommandations SMART — spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement définies. Dans cette compréhension, les participants ont étudié de nombreux exemples concrets de rapports alternatifs d’autres pays africains, afin d’identifier ce qui rend une recommandation efficace et susceptible d’être prise en compte par le Comité. Les échanges ont été particulièrement riches et interactifs. « Enfin, j’ai compris ce que c’est, le rapport alternatif », s’est exclamée une participante, représentante d’une ONG sur le droit des femmes. Un autre participant a ajouté : « J’ai compris que cette procédure n’est pas contre le gouvernement, mais une manière constructive de travailler ensemble. » Les facilitateurs ont en effet insisté sur le caractère coopératif et non conflictuel du processus. Comme l’a expliqué Asita Scherrieb, du CCPR Centre, « il faut imaginer cette interaction comme une critique bienveillante. Si quelqu’un que vous aimez cuisine un repas qui ne vous plaît pas, vous ne dites pas simplement que c’est « atroce ». Vous demandez comment il a été préparé, quels obstacles le cuisiner a eu — peut-être un ingrédient manquant, trop cher ou pas assez de temps — puis vous proposez des solutions pour faire mieux la prochaine fois. C’est exactement la même logique : toutes les parties aiment leur pays et veulent le voir s’améliorer. Identifier les problèmes ensemble, c’est la première étape du progrès. » Emeline Swiderski de la FIACAT a souligné qu’elle accompagne depuis de nombreuses années les organisations de la société civile dans la préparation et la soumission de leurs rapports. Elle a insisté sur le fait que ces rapports parallèles sont véritablement essentiels et pris très au sérieux par le Comité. À cet égard, elle a illustré à travers plusieurs exemples comment les rapports alternatifs soumis par des ONG dans d’autres pays ont non seulement influencé les questions posées par les membres du Comité, mais également contribué à la formulation de leurs recommandations finales. Malgré ces succès, les discussions ont également mis en lumière plusieurs défis majeurs. La réduction drastique des budgets alloués aux Nations Unies, notamment dans le domaine des droits humains, freine considérablement le financement des déplacements, des formations et des missions de suivi. Plusieurs ONG ont exprimé leur préoccupation face à l’absence de soutien financier et logistique pour leur participation aux sessions du Comité à Genève, y compris en ce qui concerne les frais de visa ou les procédures administratives complexes. Ces contraintes limitent la représentation des voix locales lors des dialogues internationaux et réduisent la capacité des acteurs nationaux à contribuer directement aux travaux du Comité. Les participants ont donc appelé à un renforcement des partenariats et de la solidarité entre organisations internationales, afin de garantir une participation véritablement inclusive, reflétant la diversité et la richesse de la société civile tchadienne. Un des points les plus marquants de cet atelier fut la participation active de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Il s’agit là d’une grande avancée, car la CNDH n’avait encore jamais soumis de rapport parallèle à un organe des traités. Le fait qu’une équipe rédactionnelle du CNDH ait pris part activement aux exercices de rédaction constitue donc un jalon historique pour son implication dans les mécanismes internationaux. Un échange plus fort avec les mécanismes des Nations Unies avait d’ailleurs été recommandé par le Comité d’accréditation du GANHRI, qui examine actuellement le statut de la CNDH au regard des Principes de Paris. La participation de la CNDH à cet atelier répond directement à cette recommandation et marque une évolution vers une institution plus proactive et indépendante.